"Mariage pour tous"texte de Roger Dadoun
Nous avons pris pas mal de retard sur de nombreuses infos, le changement de version d'over-blog n'y est pas pour rien, voici un texte de Roger Dadoun pour débuter les publications à venir.
Elle est retrouvée. – Quoi ? - L’Humanité!
Ce qui, au vu des antagonismes et incidents qui ont caractérisé l’affaire du “mariage pour tous”, persiste de plus flagrant, c’est la confusion. En décantant à l’extrême, on parviendrait, au mieux, à distinguer deux pôles antagonistes. Un pôle qu’on peut qualifier de “biologique”, consistant à privilégier l’existence du couple homme-femme (on dirait plutôt, en l’occurrence : mâle-femelle) dont la fonction, galamment qualifiée de “vocation” ou “mission”, consisterait à faire des enfants. Il se classerait à “droite” (chrétiens, traditionnalistes, UMP, extrême droite). Un pôle, “culturel”, classé à “gauche”, revendique de son côté l’élargissement à tous les couples, nommément homosexuels, des droits afférents au mariage institutionnel. A regarder de près, ces deux pôles n’ont pas de raison de se contrarier - nul n’empiète vraiment sur les positions de l’autre. Simplement, à l’institution du mariage traditionnel est venu s’ajouter un avenant homosexuel. C’est ainsi que l’expression réductrice de “mariage homosexuel”, dit aussi “mariage gay”, a retenu toute l’attention.
En brouillant ainsi toutes les pistes – sexuelle, religieuse, politique, idéologique -, l’agitation autour du “mariage pour tous” a empêché que l’on prenne conscience d’une avancée (qui serait retour aux origines?) anthropologique surprenante. Les partisans du mariage traditionnel (occidental) s’avancent camouflés derrière l’enfant - un enfant-roi sans couronne, soumis la plupart du temps aux agressions, violences et contraintes disciplinaires de l’adulte. Quant au “mariage homosexuel”, l’expression indique assez que c’est la sexualité qui en est le principe de base.
Inscrite sur la plus longue durée, il semble possible, et légitime, de prendre au pied de la lettre la formule “mariage pour tous”, en la ramenant à son sens le plus littéral, qui lui donne paradoxalement une envergure exceptionnelle. Quand l’officier public prononce le mariage entre homme et femme, il ne demande pas à l’homme et à la femme de déclarer leur sexe; le bel habit suffit à faire les mariés. De même, face au couple femme-femme ou homme-homme, il considère comme allant de soi qu’il a affaire au genre “gay” ou “lesbien”. Dans tous les cas, le “genre sexuel” oblitère cet autre genre, d’une tout autre ampleur, irrécusable et fondatrice, qui s’appelle “genre humain” (on voit à quel point la confusion persiste). S’il est vrai qu’au plan individuel et social, ce sont les habillages sexuel, économique, patrimonial, parental, culturel qui dominent et accaparent l’existence entière - au plan de l’espèce humaine, reconnue l’élémentaire perception de ce que nous sommes tous, c’est qui compte au premier chef, qui est irrécusable et incontournable, dans les siècles des siècles, nonobstant crimes et massacres, c’est l’”alliance”, la “reconnaissance” entre deux êtres humains, la relation “congénère”, fraternelle, animale et culturelle ensemble, entre moi et l’autre (l’autre, “mon semblable mon frère”). Contre les redoutables écoles, juridiques, politiques, philosophiques, qui proclament que “l’autre est l’ennemi”, le “mariage pour tous”, assumé comme tel (le “pour tous” est, sans le vouloir, une notion fantastique!), oubliant ses défroques religieuses ou libertaires, est de nature à montrer la voie – la vérité, la vie - à l’“alliance” primordiale, originelle, de l’”un et l’autre” (“toi” et “moi”) où viendrait se ressourcer un sens de l’humain irréductiblement présent et rageusement refoulé. Nous sera-t-il possible, du coup, de faire écho, au cri du poète (Rimbaud, “L’Alchimie du Verbe”) évoquant pour sa part sa découverte de “l’Eternité” : “Elle est retrouvée. – Quoi ? – L’Humanité!”?
Roger Dadoun, philosophe, psychanalyste.
Auteur notamment de “La sexualité humaine. 3. Les régulations sociales de la sexualité”, in Encyclopaedia Universalis, t.14, 1972. L’érotisme. De l’obscène au sublime, PUF, Quadrige, 2010.