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Un nouveau texte de Roger Dadoun

21 Novembre 2013 , Rédigé par laurent rompteaux

Merci à lui de nous faire partager ses réflexions

“Mariage pour tous”?

Elle est retrouvée. – Quoi ? - L’Humanité!

Ce qui, au vu des affrontements et incidents qui ont caractérisé l’affaire du “mariage pour tous”, persiste de plus flagrant, c’est la confusion – lourdement grevée, nul besoin de le rappeler, d’obsessions sexuelles. En décantant à l’extrême, on parviendrait, au mieux, à distinguer deux pôles antagonistes. Un pôle que l’on peut qualifier de “biologique”, consistant à privilégier les pratiques et l’existence même du couple homme-femme (on dirait plutôt, en l’occurrence et en “positivant”, toute honte bue : copulation mâle-femelle) dont la fonction, galamment qualifiée de “vocation” ou “mission” (faut-il renvoyer ici, par analogie, à la position coïtale dite du “missionnaire”?) serait d’accomplir l’acte sexuel en vue de produire des enfants – émouvante et gracieuse finalité. Autour de ce pôle “organique” s’agglutinerait une dite “droite”: traditionnalistes, chrétiens, UMP, extrême droite et divers éléments disparates. A l’opposé, un pôle, globalement “culturel”, classé à “gauche”, revendique l’élargissement à tous les couples, homosexuels cités en première ligne, des droits afférents au mariage institutionnel.

Sous le jeu plus ou moins frelaté de conflits censés être inexpiables et de mouvements pavloviens de masse censés militer pour le sort de l’humanité, ces deux pôles n’ont en vérité aucune raison de se contrarier, dès lors que nul n’empiète véritablement sur les positions de l’autre - on pourrait même considérer qu’ils se complètent, donnant ainsi son sens arithmétique à la notion de “mariage pour tous”, dont l’amplitude paranoïaque (“pour tous”- rien qu’ça?) ne semble étonner personne. Qu’a-t-on fait d’autre sinon inscrire, dans l’institution du mariage traditionnel, un avenant (ou “malvenant”) homosexuel? C’est ainsi qu’aux côtés de la trinité réductrice biologisante “un homme-une femme-un enfant”, est venue prendre place l’expression, elle-même réductrice, de “mariage homosexuel”, dit aussi plus familièrement “mariage gay”, présenté comme l’adversaire, mimétique ou parodique, mais surtout, selon les idéologies, déconstructeur, du mariage classique. Une aussi minime inscription a eu pour effet de polariser toute l’attention sur l’homosexualité, et de susciter et exacerber à son endroit, par delà les avatars individuels et politiques, une forme spécifique de violence anthropologique, puisque c’est le statut même de “l’homme”, en tous sens possibles (espèce, genre, partenaire, juridique, etc.), qui était censé être remis en question.

Brouillant et confondant toutes les pistes – sexuelle, religieuse, politique, idéologique -, l’agitation autour du “mariage pour tous” a surtout eu pour effet, spectaculaire, de mettre au premier plan des données qui sont l’ordinaire de toute existence (rapport sexuel, grossesse, naissance, parentalité, etc.), tenues pour universelles, obstinément répétitives, poussées pour l’occasion à l’enfantillage (poussettes à garniture d’enfant bravement poussées dans les manifs), et monter en épingle aussi bien les touchantes idylles politico-familiales que de féroces et haineuses explosions homophopiques, retour d’un refoulé guilleret qui ne s’encombre plus des tergiversations et prudences de la bénévolence.

Retour aux origines ?

Toutes ces turbulences, balançant entre fanatisme et commisération, ont grassement, comme cela se voit en tous domaines jusqu’à la nausée, alimenté les médias. Au “mariage pour tous”, c’est eux surtout qui étaient à la fête, papotant-e-s journalistes animateurs-trices moulinant à pleines brassées sexualités, parentalités, anormalités, civilisations et animalités même. Pestilences médiatiques, que le vent emporte. Scories et hâbleries, qu’il importe de traverser et laisser de côté, pour nous demander si, prospectant aux sources de ces excitations démesurées et de ces violences voyeuristes, on ne parviendrait pas à toucher une espèce de fond primordial, à entendre l’écho d’un gisement originel qui aurait quelque chose à voir avec la construction même de l’humanité – piste d’anthropologie psychanalytique.

Plutôt que de verser dans l’anecdote et les malversations habillées de candeur et d’honorabilité, nous croyons possible, poussant en force le “mariage pour tous”, d’avancer l’hypothèse, assurément risquée mais raisonnable voire rationnelle, d’un moment anthropologique fondateur consistant, tout simplement et tout uniment, dans la reconnaissance de l’un par l’autre, dans l’accession à une forme d’alliance élémentaire, pacte brut advenant entre deux sujets humains et suspendant les mouvements primaires, quasi instinctifs, agressifs, défensifs, terrorisés, qui régissent les relations entre groupes constitués, premières et brutes expressions d’une psychologie de foule (de “meute”) – bref, créatrice d’humanité. En termes anachroniques, on irait jusqu’à dire que naît là un principe, non encore moral ou religieux, mais strictement anthropologique (de l’homme comme tel), fondement biblique (Lévitique) constitutif de l’humanité même, précurseur et annonciateur de ce dont se prévaudra la formule évangélique : “tu aimeras ton prochain comme toi-même” (en hébreu, les mots “prochain” – rea– et “mal” – raa – sont quasi identiques).

En se risquant ainsi à envisager pareille forme risquée de retour aux origines (mais qui dit “origine” dit “risque”), on se place en quelque façon en deça de la sexualité elle-même (entendre celle-ci comme sexualité culturelle plus que biologique). Les partisans du mariage traditionnel (occidental) s’avancent camouflés derrière l’enfant en tant qu’issu d’un coït - enfant-roi sans couronne, soumis la plupart du temps aux agressions, violences et contraintes disciplinaires de l’adulte. A rappeler sans cesse, par ailleurs, la neuve avancée juridique que constitue le “mariage homosexuel”, on souligne suffisamment, de tous côtés, que c’est la sexualité qui sert de référence privilégiée, sinon exclusive. Dans notre perspective, inscrite sur la plus longue durée pensable, il semble possible, et légitime, de prendre au pied de la lettre la formule “mariage pour tous”, en la ramenant à son sens le plus littéral, élémentaire, lui donnant ainsi, paradoxalement, une envergure exceptionnelle.

Quand l’officier public prononce le mariage entre homme et femme, il ne demande pas à l’homme et à la femme de déclarer leur sexe - le bel habit suffit à faire les mariés. De même, face au couple femme-femme ou homme-homme, il ne leur demande pas s’ils appartiennent au genre “gay” ou “lesbien”, et s’ils contractent mariage pour légitimer des rapports homosexuels. Dans tous les cas, le “genre sexuel”, quel qu’il soit, prend appui sur cet autre genre, d’un tout autre enracinement, irrécusable et fondateur, qui s’appelle “genre humain” – soit l’humanité même. S’il est vrai qu’au plan individuel et social, ce sont les habillages sexuel, économique, patrimonial, parental, culturel qui dominent et accaparent l’existence entière – en revanche, au plan de l’espèce humaine, sur la base d’une élémentaire perception de ce qui nous fait “êtres humains”, ce qui s’avère incontestable, incontournable, dans les siècles des siècles, millénaires inclus, nonobstant crimes et massacres, c’est l’”alliance”, la “reconnaissance” entre deux êtres humains simplement parce qu’”humains”, la relation “congénère”, fraternelle, animale et culturelle ensemble, entre moi et l’autre - l’autre perçu et vécu, non plus comme le “mauvais” (caïnique), mais comme étant “mon semblable mon frère”!

Contre les redoutables écoles, juridiques, politiques, philosophiques, qui proclament, belliqueusement ou pacifiquement, que “l’autre est l’ennemi” et le “mal”, le “mariage pour tous”, assumé comme tel (le “pour tous” advient ici dans toute sa vibration anthropologique originaire et fantastique), et déposant là ses défroques sexuelles, religieuses ou libertaires, est de nature à montrer “la voie” – “la vérité, la vie”? – à l’“alliance” primordiale, originelle, de l’”un et l’autre” , du “moi et toi“, ou, mieux encore, d’un “l’un/l’autre“, d’un “moi/toi”. C’est là, imaginons-le avec une primordiale passion, où viendrait se ressourcer un sens de l’humain irréductiblement présent, toujours cruellement refoulé – et resurgissant brusquement, à la stupéfaction et à la confusion de tous, avec l’incroyable et sublimement nommé “mariage pour tous” . Serions-nous alors en droit – droit et justice, ô mes frères et soeurs ! - de faire écho, en ces termes, au cri prophétique du poète (Rimbaud, “L’Alchimie du Verbe”) clamant lui sa découverte de “l’Eternité” : “Elle est retrouvée. – Quoi ?” – L’Humanité ?

PS. En relation directe avec cette chronique, cf. Roger Dadoun : “La sexualité humaine. 3. Les régulations sociales de la sexualité”, in Encyclopaedia Universalis, t.14, 1972. Geza Roheim, l’essor de l’anthropologie psychanalytique, Payot, 1972. L’érotisme. De l’obscène au sublime, PUF, Quadrige, 2010.

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