Aujourd'hui dans Libération
La rue comme annexe de l’hôpital psychiatrique
L’accès aux soins pour les sans-abri souffrant de troubles mentaux est insuffisant.
Les SDF victimes de graves troubles psychiatriques sont-ils de plus en plus nombreux ?
A Bordeaux, le docteur Gérard Bodin, médecin généraliste au Samu social, estime ainsi entre 150 et 200 le nombre de personnes à la rue présentant des troubles psychiatriques avérés, sur une population totale de 3 500 SDF. «C’est bien supérieur à la proportion globale dans la société», pointe-t-il. Il constate : «Depuis la fin des structures fermées pour aliénés, l’asile s’est reconstitué dans la rue et dans les structures d’urgence.» «On est en train d’essayer de secouer les choses», affirme le médecin.
Mais les avancées se font au compte-gouttes. Depuis 2005, lui et quelques autres planchent sur la mise en place d’une équipe mobile de psychiatrie, pour aller à la rencontre des SDF et servir de référent à toutes les associations d’hébergement de la ville. L’attente est forte. «Ce relais, on le réclame à cor et à cris», insiste Virginie Hérisson, directrice de la Halte de nuit (lire page suivante). «J’espère vraiment une mise en fonctionnement dans le courant de l’année 2009, positive le médecin. Mais on est en attente de fonds.»
Pour l’heure, il n’existe donc à Bordeaux aucune gestion d’ensemble de l’accès aux soins psychiatriques pour les précaires. Alors que la situation ne cesse de se dégrader. Dangerosité.
Et Bordeaux n’est pas un cas à part. Lors d’un colloque organisé fin novembre à l’hôpital psychiatrique sur la prise en charge des grands précaires, le docteur Sylvie Zucca, de l’hôpital Saint-Anne à Paris (XIVe arrondissement), tirait elle aussi la sonnette d’alarme : «On assiste à un glissement silencieux de toute une population qui relèverait de la psychiatrie vers les structures sociales à bas seuil. Et personne ne le voit.»
Fermeture de lits, pénurie de personnel - qui multiplie les grèves autant à Charles-Perrens qu’à Cadillac, les deux hôpitaux psychiatriques bordelais -, durées de séjours raccourcies : autant de facteurs qui conduisent à renvoyer de plus en plus systématiquement les malades mentaux peupler les trottoirs de la ville. «C’est simple, ils balancent entre le tout de l’institution et le rien du dehors. La psychiatrie quand ils vont mal et le vide à l’extérieur», dénonce Abdou Chaoui, responsable des bénéficiaires du RMI au sein l’association Calk, spécialisée dans l’accompagnement des jeunes.
Pour les foyers et les associations, ce glissement pose de nouvelles difficultés. «Nous n’avons pas de formation pour accueillir un public de malades mentaux, souligne la directrice de la Halte de nuit. Notre cœur de métier, c’est l’accompagnement social. Nous ne sommes pas une structure sanitaire.»
L’an dernier, elle a fait appel à un psychiatre pour quelques heures d’information au personnel : identifier les grandes classes de pathologies, leur dangerosité. «On voulait des petits trucs pour ne pas rompre le lien. Mais on a en permanence le sentiment de jouer la montre. Quand ça va trop loin, il nous arrive ponctuellement d’en mettre un dans la voiture pour l’amener en consultation.» Après cinq ans d’attente, Rachid Farahï, qui gère une association de réinsertion pour jeunes majeurs, vient d’obtenir les financements et a pu cette année embaucher un psychiatre six heures par semaine. «Notre but, c’est de regagner un peu de légitimité, explique-t-il. Parce que l’hôpital a du mal à nous écouter quand on dit que quelqu’un chez nous ne va pas bien. Les établissements sont tellement saturés, qu’à moins de se balader à poil en délirant, c’est quasiment impossible de passer le premier verrou de l’hospitalisation.»
Pourtant, parmi les 60 jeunes sortis de la rue, dix sont sous traitement neuroleptique, et dix autres «nécessiteraient d’être soignés». Ce qui ne représente que la partie émergée de l’iceberg, puisque l’association refuse près de dix demandes de prises en charge par semaine. «Errance».
«La psychiatrie a du mal à tenir compte de l’expertise des travailleurs sociaux, confirme le docteur Bodin. Mais, c’est pourtant devenu indispensable, parce que l’errance est justement liée aux troubles, et qu’elle complique également la prise en charge médicale.»
Les malades mentaux ont plus que tout besoin de soins constants et d’un accompagnement personnalisé. Relégués à la marge de la cité, avec pour tout soutien le numéro du 115, ils dérivent au gré de leur alcoolisation et de leurs délires. «Il faut que le système se mette à leur portée, répète Virginie Hérisson.
déjà une victoire quand on réussit à envoyer quelqu’un chez le dentiste. Alors comment voulez-vous que ça fonctionne pour un psychiatre chez qui il faut en plus deux mois pour obtenir un rendez-vous ?» Avec une équipe mobile, les malades auraient enfin cette possibilité de tisser un lien de proximité. «On sait que ça marche. On a plein de belles histoires de gens traités et resocialisés», affirme le docteur Bodin.
L’accès aux soins pour les sans-abri souffrant de troubles mentaux est insuffisant.
Les SDF victimes de graves troubles psychiatriques sont-ils de plus en plus nombreux ?
A Bordeaux, le docteur Gérard Bodin, médecin généraliste au Samu social, estime ainsi entre 150 et 200 le nombre de personnes à la rue présentant des troubles psychiatriques avérés, sur une population totale de 3 500 SDF. «C’est bien supérieur à la proportion globale dans la société», pointe-t-il. Il constate : «Depuis la fin des structures fermées pour aliénés, l’asile s’est reconstitué dans la rue et dans les structures d’urgence.» «On est en train d’essayer de secouer les choses», affirme le médecin.
Mais les avancées se font au compte-gouttes. Depuis 2005, lui et quelques autres planchent sur la mise en place d’une équipe mobile de psychiatrie, pour aller à la rencontre des SDF et servir de référent à toutes les associations d’hébergement de la ville. L’attente est forte. «Ce relais, on le réclame à cor et à cris», insiste Virginie Hérisson, directrice de la Halte de nuit (lire page suivante). «J’espère vraiment une mise en fonctionnement dans le courant de l’année 2009, positive le médecin. Mais on est en attente de fonds.»
Pour l’heure, il n’existe donc à Bordeaux aucune gestion d’ensemble de l’accès aux soins psychiatriques pour les précaires. Alors que la situation ne cesse de se dégrader. Dangerosité.
Et Bordeaux n’est pas un cas à part. Lors d’un colloque organisé fin novembre à l’hôpital psychiatrique sur la prise en charge des grands précaires, le docteur Sylvie Zucca, de l’hôpital Saint-Anne à Paris (XIVe arrondissement), tirait elle aussi la sonnette d’alarme : «On assiste à un glissement silencieux de toute une population qui relèverait de la psychiatrie vers les structures sociales à bas seuil. Et personne ne le voit.»
Fermeture de lits, pénurie de personnel - qui multiplie les grèves autant à Charles-Perrens qu’à Cadillac, les deux hôpitaux psychiatriques bordelais -, durées de séjours raccourcies : autant de facteurs qui conduisent à renvoyer de plus en plus systématiquement les malades mentaux peupler les trottoirs de la ville. «C’est simple, ils balancent entre le tout de l’institution et le rien du dehors. La psychiatrie quand ils vont mal et le vide à l’extérieur», dénonce Abdou Chaoui, responsable des bénéficiaires du RMI au sein l’association Calk, spécialisée dans l’accompagnement des jeunes.
Pour les foyers et les associations, ce glissement pose de nouvelles difficultés. «Nous n’avons pas de formation pour accueillir un public de malades mentaux, souligne la directrice de la Halte de nuit. Notre cœur de métier, c’est l’accompagnement social. Nous ne sommes pas une structure sanitaire.»
L’an dernier, elle a fait appel à un psychiatre pour quelques heures d’information au personnel : identifier les grandes classes de pathologies, leur dangerosité. «On voulait des petits trucs pour ne pas rompre le lien. Mais on a en permanence le sentiment de jouer la montre. Quand ça va trop loin, il nous arrive ponctuellement d’en mettre un dans la voiture pour l’amener en consultation.» Après cinq ans d’attente, Rachid Farahï, qui gère une association de réinsertion pour jeunes majeurs, vient d’obtenir les financements et a pu cette année embaucher un psychiatre six heures par semaine. «Notre but, c’est de regagner un peu de légitimité, explique-t-il. Parce que l’hôpital a du mal à nous écouter quand on dit que quelqu’un chez nous ne va pas bien. Les établissements sont tellement saturés, qu’à moins de se balader à poil en délirant, c’est quasiment impossible de passer le premier verrou de l’hospitalisation.»
Pourtant, parmi les 60 jeunes sortis de la rue, dix sont sous traitement neuroleptique, et dix autres «nécessiteraient d’être soignés». Ce qui ne représente que la partie émergée de l’iceberg, puisque l’association refuse près de dix demandes de prises en charge par semaine. «Errance».
«La psychiatrie a du mal à tenir compte de l’expertise des travailleurs sociaux, confirme le docteur Bodin. Mais, c’est pourtant devenu indispensable, parce que l’errance est justement liée aux troubles, et qu’elle complique également la prise en charge médicale.»
Les malades mentaux ont plus que tout besoin de soins constants et d’un accompagnement personnalisé. Relégués à la marge de la cité, avec pour tout soutien le numéro du 115, ils dérivent au gré de leur alcoolisation et de leurs délires. «Il faut que le système se mette à leur portée, répète Virginie Hérisson.
déjà une victoire quand on réussit à envoyer quelqu’un chez le dentiste. Alors comment voulez-vous que ça fonctionne pour un psychiatre chez qui il faut en plus deux mois pour obtenir un rendez-vous ?» Avec une équipe mobile, les malades auraient enfin cette possibilité de tisser un lien de proximité. «On sait que ça marche. On a plein de belles histoires de gens traités et resocialisés», affirme le docteur Bodin.
Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
D
L