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Adam Philips "3 capacités négatives" Eds de l'Olivier

9 Février 2010 , Rédigé par laurent rompteaux Publié dans #livres

La frustration a du bon pour le psychanalyste Adam Phillips.

Un vent nouveau s'est levé sur la psychanalyse, le corset étouffant de la théorie s'est desserré. Bref, un bon coup de plumeau sur divans et bibliothèques. Ce courant d'air frais et tonique nous vient de Grande-Bretagne, l'excellente patrie, le home de la psychanalyse d'enfants. Que l'on songe à Anna Freud et à Melanie Klein, à John Bowlby et, bien sûr, au grand Donald Winnicott. Aujourd'hui, avec Adam Phillips, a star is born. En France, le public se met, enfin, à découvrir ce psy-chanalyste insolite, avec un habituel train de retard.

Ses références : Keats, Shakespeare, Orwell

Né en 1954 à Cardiff, de parents juifs polonais, il entreprend des études de littérature à Oxford et, foudroyé par la lecture de l'autobiographie de Jung, devient psychanalyste d'enfants au Charing Cross Hospital de Londres. Ses références sont le poète Keats, Shakespeare, Orwell dont il apprécie la fameuse "décence ordinaire", le simple respect dû à autrui. Il est consacré par le Times comme le "Martin Amis de la psychanalyse britannique", écrivain et critique de la condition "postmoderne". Adam Phillips, contributeur régulier à la prestigieuse London Review of Books, connaît bien les affinités secrètes qui lient littérature et psychanalyse.

"La psychanalyse britannique, c'est d'abord une question d'écriture", avance Adam Phillips. Le style, c'est le psychanalyste, et il faut écrire pour toucher, faire du remue-ménage dans les têtes figées. Hélas, la psychanalyse française, sauf pépites, est devenue une lourde barque chargée d'essais abscons, de monologues universitaires, de livres saturés de pseudo-scientificité, de quoi décourager le lecteur. Finalement, on a oublié l'essentiel : la psychanalyse s'adresse à tous. Qui ne traverse le défilé périlleux du sexe, de l'angoisse et de l'identité, bref, les turbulences de la vie psychique ? Et Lacan, notre parangon national, cet homme hiéroglyphe ? "Il a réussi la plus magnifique mise en scène de lui-même !" s'amuse Adam Phillips. La psychanalyse britannique en use autrement. "Je parle de choses ordinaires, accessibles à tous. Je suis résolument antiélitiste", déclare-t-il, non par bonté d'âme mais, encore une fois, parce que la psychanalyse s'adresse à l'être de chacun.

Quels patients voit-il défiler dans son cabinet londonien ? Quelles nouvelles pathologies ? Adam Phillips se refuse à tout discours "grandiose", comme il dit, à toute position en surplomb. Mais il a bien des idées. "Je ne peux parler que de mes patients. C'est la qualité de la relation humaine qui fait problème. Les gens sont désespérés à la simple idée d'une relation amoureuse qui ne serait pas durable ; jeunes, ils hésitent quant à leur possibilité de devenir adultes. Il y a une peur de perdre : la vie, la jeunesse, l'amour, la sécurité. Je constate souvent chez les adolescents de l'anorexie, des crises d'angoisse, une confusion entre le réel et la virtualité informatique."

Dans son dernier livre, Trois capacités négatives, Adam Phillips évoque l'étrange figure du perfectionniste chagrin. Maître intraitable, accroché à ses exigences comme à la vie, ce dieu ne se remet pas d'une défaillance, et sa personnalité, dure comme un monolithe, ne sait pas transiger. Une clôture impossible et tragique. Un rien manque et tout manque. On reconnaît, évidemment, le "conformiste", le héros rigide de Moravia, recyclé dans le film inquiétant de Bertolucci. De la pâte à fasciste. Pourquoi cette digression ? L'homme contemporain a du mal avec la frustration, il y a un climat d'avidité qui consiste à tout vouloir tout de suite. D'abord, en finir avec la frustration, c'est vouloir se débarrasser de ses désirs donc de la vie même, ce qui est vraiment curieux. Ensuite, la frustration, c'est se ménager un espace salutaire pour soi et pour l'autre, éviter la saturation, le trop-plein des objets. Pouvoir imaginer ou se représenter, c'est, tout simplement, respirer.

Alors si vous demandez à Adam Phillips, enseignant à l'université d'York et actuel maître d'oeuvre d'une nouvelle traduction de Freud chez Penguin, pourquoi une analyse ? "Le but d'une analyse n'est pas tant de soigner les gens que de leur montrer ce qui, chez eux, est incurable", déclare-t-il. On ne guérit pas de la vie, on ne se dérobe pas à ses désirs interdits, sauf à voir le symptôme se rappeler à votre mémoire. Chacun doit accepter sa part de folie. Son humour, très semblable à celui de son maître Winnicott, l'a immunisé contre tout dogmatisme. Non, la psychanalyse n'est pas une science, mais une aventure incertaine. "On ne peut pas dire à un analysant, je vais vous raconter une histoire drôle. Non. Vous racontez et c'est à lui de voir", déclare, en souriant, ce psychanalyste dubitatif.
 02 10 a. philips trois capacites negatives couvCapacité négative : l’expression vient de Keats. C’est la « qualité qui contribue à former un homme accompli lorsqu’il est capable d’être dans l’incertitude, les mystères, les doutes sans courir avec irritation après le fait et la raison ».
 
Être un embarras, être perdu, être impuissant – trois capacités négatives, éprouvées dans l’enfance, récusées plus tard de telle sorte que, contrairement à l’enfant, on ne vivra pas pour de bon, on fera semblant. Le plus singulier des essayistes britanniques actuels les fait revivre et montre à quel point elles fondent notre singularité.

Si avec tout cela vous n'êtes toujours pas convaincu de l'utilité de lire cet essai, que dire de plus ?
C'est une source de réflexion pour tout clinicien qui veut bien être à l'écoute de ses doutes? partant d'un poème de Holub, Adam Philips écrit "Etre perdu pour se plonger utilement dans l'illusion, rendre inventive la négligence, donner à l'inattention des fins heureuses .." et en conclusion "La frustration, l'incapacité, l'insuccèss sont, en tantqu' héritiers du complexe d'Oedipe, les conditions préalables de la santé.Là, rien n'est moins réaliste que le désir de réussir.C'est affaire de comment chuter ou, comme dit Beckett , de comment "rater mieux"".

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C
<br /> Ce n'est pas tant l'envie de lire cet essai que d'en découvrir l'auteur qui m'a accompagné tout au long de ton résumé. En espérant que ces références vont pouvoir franchir les barrières<br /> universitaires afin de montrer aux étudiants quel est le véritable sens du mot Clinique. Mais pour ça je te fais confiance.<br /> <br /> <br />