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André Green"illusions et désillusions du travail psychanalytique"

20 Juin 2010 , Rédigé par laurent rompteaux Publié dans #livres

Voici un article tiré du journal Le Monde suite à la sortie du dernier livre d'André  Green suivi de quelques commentaires.

 

Quand on rencontre André Green, on est frappé d'abord par sa rare ouverture d'esprit, sa manière de mettre à l'épreuve son expérience et ses concepts. Tout l'inverse du dogmatique ou du démagogue...

La preuve : aujourd'hui, ce grand nom de la psychanalyse contemporaine, auteur de quelque 25 essais, maître peu avide de micros et de caméras, n'hésite pas, dans son dernier livre, à mettre sur le tapis certaines difficultés actuelles des traitements, voire les échecs auxquels se heurtent parfois les disciples de Freud. Avec un seul but : que cet exercice de lucidité permette d'avancer, de surmonter les obstacles et de continuer à faire progresser l'aventure freudienne.

Avec cette réflexion critique et constructive, Green se situe dans la continuité du père fondateur : "Freud n'a cessé de se préoccuper des obstacles que rencontre la psychanalyse, explique-t-il. C'est pourquoi il a constamment évolué. Il a plusieurs fois remanié ses concepts en fonction de difficultés nouvelles qui lui apparaissaient. C'est cette recherche-là que nous devons poursuivre. Si l'on constate aujourd'hui un certain désenchantement envers la psychanalyse, il faut comprendre ce que nous n'avons pas vu, inventer des techniques auxquelles Freud n'avait pas pensé."

Voilà pourquoi, en dépit des années, André Green ne cesse de chercher. Eternel curieux, attentif à penser neuf, toujours prêt à prendre des risques, on le voit dialoguer vraiment, sur le fond, avec des interlocuteurs très divers - neurologues ou linguistes, anthropologues ou écrivains, poètes ou philosophes. De Maurice Godelier à Yves Bonnefoy, en passant par Jean-Didier Vincent, Charles Malamoud et bien d'autres, tous ceux qui échangent avec lui arguments et objections connaissent son exigence autant que son souci du vrai.

Ce qui a orienté tout son parcours, c'est l'élaboration d'une connaissance du psychisme humain à la fois rigoureuse et conforme aux spécificités de son objet. Là aussi, ses points de départ furent ceux de Freud. Ils sont demeurés ceux de Green, au cours d'un long périple théorique et pratique. Entre le jeune homme, né au Caire, qui arriva à Paris en 1946 pour entamer ses études de médecine, et le penseur actuel, il y a la traversée active d'une multitude d'expériences, d'idées, d'institutions et aussi de conflits. En relation avec Donald Winnicott dès 1957, et avec Wilfred Bionà partir de 1976, André Green est resté attentif aux développements féconds de la psychanalyse britannique au moment où le règne de Lacan dominait la scène française.

Proche de ce dernier dans les années 1960, Green a rompu avec lui en 1967. Reconnaissant son apport théorique, il demeure très critique envers sa pratique et, plus encore, envers ses héritiers. Pour sa part, Green a élaboré un travail conceptuel important et divers : au cours des dernières décennies, on lui doit notamment d'avoir mis en lumière le "travail du négatif" et le "temps éclaté" du fonctionnement psychique. Clinicien, c'est aussi l'un des rares psychanalystes à avoir consacré des essais minutieux à la littérature, scrutant en particulier les oeuvres de Shakespeare, Joseph Conrad ou Henry James.

 

Ces dernières années, il a mis principalement l'accent sur la question de la destruction et sur l'existence, toujours controversée, de la pulsion de mort. "Une bonne partie des psychanalystes n'a pas envie d'entendre parler de la pulsion de mort, en s'imaginant que, si elle existe, il n'est plus possible de travailler, note-t-il. Je pense au contraire que nous devons prendre au sérieux cette hypothèse, qui fut élaborée par Freud assez tardivement. Car elle peut expliquer une partie de nos échecs. Nous constatons en effet, chez certains patients, une inclination au malheur, une obstination dans le refus de guérir."

Chez certains individus, cette intériorisation du négatif conduit, selon André Green, à une inversion des valeurs de la vie : le malheur est préféré à tout. A ce masochisme, le psychanalyste compare aujourd'hui, sur le registre collectif, la falsification de toute vérité et le règne du mensonge généralisé mis en place par les régimes totalitaires. Fondée sur une lecture attentive de L'Holocauste comme culture, d'Imre Kertész (Actes Sud, 2009), cette analyse est sans doute l'une des plus novatrices de son dernier ouvrage. Entre destruction individuelle et destruction collective, la psychanalyse peut mettre au jour à la fois des ressemblances et des différences de registre : "Ce que Freud nomme le malaise dans la civilisation est un effet de la pulsion de mort. Son domaine d'action est le social, non l'individuel."

Dès qu'on entrevoit la profondeur et l'étendue de cette hypothèse, les questions se bousculent. N'est-ce pas là une vision fort noire ? Ne faut-il pas laisser place à l'espérance, individuelle et collective ? Comment conjuguer la perte salutaire des illusions avec la nécessité de continuer à agir, et donc de croire à ce qu'on fait ? Somme toute, la démarche d'André Green semble reposer sur le paradoxe fécond d'une désillusion créatrice, voire stimulante. "Freud voulait la désillusion à tout prix, dit-il. Winnicott souligne au contraire que l'illusion a des aspects positifs, et qu'on ne peut vivre sans. Mais on ne doit pas oublier que la valeur suprême, pour Freud, c'est l'amour de la vérité."

Finalement, la lucidité ne conduit-elle pas inéluctablement au pessimisme ? "Pas nécessairement. La lucidité se distingue du pessimisme radical... Elle n'implique pas que tout aille mal, ni qu'on ne puisse jamais trouver de nouvelles issues. A condition de se donner les moyens de les chercher, ce qui suppose de commencer par ignorer les calomnies. Les gens qui déversent aujourd'hui des immondices sur les psychanalystes ne les connaissent pas. Ils les présentent comme une clique de forbans qui abusent le bon peuple et lui soutirent de l'argent. La réalité est tout autre." Sur les polémiques de l'heure, pas d'autre réponse. Elles sont trop profondément bêtes, vulgaires et truquées pour mériter mieux.

Décidément, André Green est fort singulier. Freudien, refusant donc d'être "freudolâtre", psychanalyste, s'interdisant donc de devenir triomphaliste, lucide, se gardant donc d'être trop pessimiste, il persiste à être ce qu'il est devenu depuis longtemps : cohérent et rigoureux, par temps de confusion et d'imposture. Comme il critique d'un côté les lacaniens et de l'autre les calomniateurs de la psychanalyse, il s'expose à mécontenter tout le monde. On se souviendra que c'est souvent à cela, aussi, qu'on reconnaît un vrai penseur.

Roger-Pol Droit
Commentaires :
Psychanalyste reconnu, esprit libre, André Green dans son dernier ouvrage juste paru, reprend son interrogation sur  les avancées de la psychanalyse et sur les désillusions cliniques. En reprenant et prolongeant ses réflexions sur la puissance des pulsions destructrices, il rend hommage encore aux travaux de Winnicott, Ferenczi, Bion mais aussi Bollas. La partie théorique de l'ouvrage est ainsi composée de textes, souvent courts, particulièrement denses et ouverts.
La seconde partie est constitutée d'exemples cliniques qui méritent le détour, ce n'est pas tous les jours que l'on témoigne de sa pratique avec autant d'humilité.
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