Non, tous les psys ne pensent pas qu'autoriser les couples de même sexe à se marier et à élever des enfants est dangereux. Ils et elles sont un peu plus de 300 (pour l'instant) psychanalystes ou en formation psychanalytique à avoir signé une lettre ouverte/pétition dans laquelle ils/elles tiennent à préciser que «“La psychanalyse” ne peut être invoquée pour s’opposer à un projet de loi visant l’égalité des droits».

 

NI «UNE MORALE» NI «UNE RELIGION»

 
«Notre rapport à la psychanalyse nous empêche de nous en servir comme une morale ou une religion, soulignent les signataires. En conséquence, nous tenons à inviter le législateur à la plus extrême prudence concernant toute référence à la psychanalyse afin de justifier l’idéalisation d’un seul modèle familial.»

 

«Nous soutenons qu’il ne revient pas à la psychanalyse de se montrer moralisatrice et prédictive, insiste le texte. Au contraire, rien dans le corpus théorique qui est le nôtre ne nous autorise à prédire le devenir des enfants quel que soit le couple qui les élève. La pratique psychanalytique nous enseigne depuis longtemps que l’on ne saurait tisser des relations de cause à effet entre un type d’organisation sociale ou familiale et une destinée psychique singulière. De plus, la clinique de nombre d’entre nous avec des enfants de couples “homosexuels” atteste que ce milieu parental n’est ni plus ni moins pathogène qu’un autre environnement.»

 

REFUSER L'INSTRUMENTALISATION

 

Cette lettre «a ceci de remarquable qu’elle alerte pour s’en démarquer sur une série de déclarations récentes visant à instrumentaliser la psychanalyse et à lui faire soutenir l’opposition très forte de la droite et des institutions religieuses contre» l'ouverture du mariage aux couples de même sexe, commente sur son blog (et sur Mediapart) l'un des signataires, Gilles-Olivier Silvagni, psychanalyste à Paris. Plusieurs psychanalystes connus ont en effet apporté leur soutien public personnel à ces positions archaïques et rétrogrades, en se conformant aux visées normatives, conformistes et réactionnaires. Or il est patent que ces psychanalystes n’ont fait qu’exprimer leur réprobation personnelle, leurs craintes intimes et leurs propres inhibitions face à une évolution de la société occidentale qui s’est déjà concrétisée juridiquement dans plusieurs pays membres de l’Union européenne: ils en ont d’ailleurs parfaitement le droit, et leurs opinions sont par principe respectables dans un pays démocratique. En revanche, ce qui n’est ni respectable ni admissible, c’est d’user de leur notoriété pour “faire parler” la psychanalyse et la ranger du côté du normatif, et de valeurs morales que nous dirons pour faire court “traditionnelles” – et de fait largement obscurantistes.»

 

Ce texte rejoint ce qu'écrivait la psychanalyste Élisabeth Roudinesco dans une tribune publiée par Libération le 5 octobre dernier après un article du Figaro intitulé «Adoption par les homos: les psys mettent en garde». «Comment ces spécialistes de la petite enfance et de l'adolescence peuvent-ils prétendre traiter les problèmes des familles en souffrance – qu'elles soient ou non homoparentales – en tenant de tels propos?, s'interrogeait-elle. Un thérapeute n'a pas à proférer des injures, il n'a pas à prononcer des diagnostics foudroyants qui n'ont d'ailleurs aucun fondement.»

 

FREUD, EN SON TEMPS…


Les signataires de la pétition rappellent au passage que Freud signa, en son temps, la pétition initiée par Magnus Hirschfeld pour demander l'abrogation du paragraphe 175 du Code pénal allemand, qui condamnait la «fornication contre nature entre hommes» (et qui ne fut définitivement supprimé qu'en 1994).

Photo Konstantin Binder (le divan de Freud, au Freud Museum de Londres)