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Texte accompagnant l'info du colloque ci-dessous

20 Septembre 2010 , Rédigé par laurent rompteaux Publié dans #infos

Quelques enjeux actuels en psychiatrie : a propos de la réforme de la loi de 1990.

Depuis décembre 2008, le "collectif des 39" se réunit mensuellement pour faire vivre une psychiatrie soucieuse du respect des patients, à travers une conception du soin avant tout clinique, où la psychiatrie n'oublie pas l'apport de la culture. Le 25 septembre, nous organisons notre 3e meeting national (inscription et infos pratiques ici) qui permettra à chacun de débattre du projet de réforme de la loi de 1990 sur les soins sous contrainte. Cette journée est conçue pour montrer le soucis de tous ceux qui s'y investissent contre les dérives instrumentalisant la psychiatrie à des fins sécuritaires. Des décisions devront s'y prendre !

Comment en effet justifier que l'évolution de la psychiatrie de ces 20 dernières années aille sans cesse vers l'augmentation de l'usage de la contrainte, des chambres d'isolement, la banalisation de la contention physique ? Les médicaments sont sensés être plus efficaces, et mieux tolérés... et dans le même temps on voit des patients préférer retourner en prison que de rester à l'hôpital psychiatrique (où les patients hospitalisés pendant une peine de prison sont maintenant souvent en chambre d'isolement, avec contention physique de principe dès leur arrivée, quelque soit leur état clinique, du simple fait de leur statut de détenu). Et pour revenir au cas plus général, même pour les patients qui ne nécessitent pas absolument de soins sous contrainte, l'HDT est devenue à certains endroits une condition pour trouver un lit d'hospitalisation.

Il est inadmissible qu'aucun effort  significatif ne soit fait pour diminuer de manière urgente le recours aux méthodes de contrainte qui n'ont vocation qu'à être l'exception, passagère, parfois  éventuellement indispensable à condition de tout faire pour l'éviter. Le reste du temps, le soin suppose l'accord du patient.
Tout faire pour éviter la contrainte, ça commence par recruter du personnel et le former.
Le former, c'est surtout lui permettre d'entrer en contact avec un patient angoissé pour qu'aucun des deux ne se sente en danger. L'angoisse de certains patients est effrayante, et produit des réactions de défense, en particulier dans des groupes où certains cherchent une protection "risque zéro". Le former, ce n'est surtout pas lui donner un cours de self-defense !Pour nous, la psychiatrie travaille au moins autant le rapport à l'autre que l'effet des molécules sur le cerveau.

La contrainte aux soins n'est de fait défendable qu'en tant qu'assistance à personne en danger. Imagine-t-on que les patients psychiatriques sont aujourd'hui plus en danger qu'en 1990 ? Pourquoi une telle explosion des soins sous contrainte ?
On le sait, c'est le processus inverse qui s'est développé, c'est une autre logique qui prévaut : économiser, quitte à contraindre, enfermer, et utiliser des ceintures de contention.
Le projet de réforme de la loi de 1990 continue dans cette logique. Il existe en effet déjà des sorties d'essai après hospitalisation sous contrainte (HO ou HDT), utilisées quand l'hospitalisation peut être interrompue, et pour des patients risquant une rechute rapide. Ces sorties d'essai se multiplient, comme si elles étaient utilisées pour favoriser les soins. Il conviendrait tout de même de se demander si ces sorties d'essai ne sont pas plutôt la répercussion d'une baisse des moyens humains en psychiatrie. La contrainte pour éviter la rechute, c'est l'économie qui prime sur les libertés individuelles et sur le respect des personnes les plus fragiles. Le projet de réforme propose de banaliser les sorties d'essai avec une nouveauté : les SASC (Soins ambulatoires sous contrainte). C'est précisément l'inverse d'une démarche clinique, humaine, culturelle, civilisatrice. Dans un autre contexte, le rapport Strohl en proposait une version plus intéressante en 1997, qui a été bien pervertie depuis.
Le reste du projet de réforme est univoque : faciliter la mise en place de la contrainte (le tiers devient facultatif, les antécédents graves deviennent une étiquette à vie obligeant toute hospitalisation à se faire à chaque fois dans les conditions les plus dures, la "notoriété publique" justifie l'hospitalisation), et rendre plus difficile la levée de la contrainte (le prefet décide toujours seul et sans recours possible, le nombre d'expertises enfle, il faut un collège de soignants pour décider des sorties) !

Comment en est-on arrivé là ? Parmi les facteurs importants à étudier, il faut noter une profonde modification du discours "officiel" de certains représentants du monde des psychiatres : la médicalisation de la souffrance psychique. Parler de souffrance, comprendre l'angoisse, c'est "has been" ! Pour être "sérieux" aujourd'hui, il faut parler médicament et neurotransmetteurs. La maladie ainsi réduite à une seule de ses composantes (même bien réelle) se soigne alors par une prise en charge binaire : "prend" ou "ne prend pas" ses médicaments neuroleptiques. Une telle conception de la folie est facilement compatible avec "prend tout seul son traitement" ou "risque d'arrêter les médicaments donc contrainte". Cette dérive grave fait oublier tout ce que la psychanalyse, la psychiatrie institutionnelle puis la psychiatrie de secteur ont permis en France. Rappelons que Paumelle a proposé un "traitement collectif du quartier d'agité" très efficacement... et avant l'apparition des neuroleptiques. Rappelons nous ce que la psychiatrie de secteur a permis de mettre en place comme réseau de soins.

Le sentiment d'insécurité construit par quelques politiciens sans scrupules n'est pas une insécurité réelle. Si on accepte d'enfermer et surveiller les fous, au prétexte qu'ils risquent de commettre eux aussi quelques homicides, nous devrons faire bientôt face à une autre réalité : les gens normaux commettent la très grande majorité des homicides, et devraient logiquement être sous surveillance constante.

Dans ces conditions, le projet de réforme de la loi de 1990 est inacceptable, et se situe dans le droit fil du discours du président Sarkozy à Antony le 2 décembre 2008.


Le collectif des 39 réunit des soignants (une soixantaine de participants actifs en fait) pas plus brillants que les autres, sans recette miracle, mais qui se préoccupent constamment de chercher comment réduire la contrainte, comment la psychiatrie peut faire oeuvre de civilisation. Nous sommes rejoints par les 30 000 destinataires de ce courriel, signataire de la pétition contre "la Nuit Sécuritaire", et bien d'autres non inscrits directement, mais qui aiment recevoir ces nouvelles que nous voulons rafraichissantes. Nous proposons à tous de nous rejoindre au meeting du 25 septembre 2010, De 9h à 17h, Espace Congrès les Esselières 3, boulevard Chastenet du Géry -94800 Villejuif M° Villejuif Léo Lagrange (ligne 7).  Dr Elie WINTER, pour le collectif des 39

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