Suite à l'autisme laissé en plan
cher Laurent Rompteaux
la présente lettre vous est adressée, mais je souhaiterais que vous puissiez la diffuser auprès de vos lecteurs.
Vous avez, à très bon escient et encore plus meilleur inconscient (j'entends l'inconscient institutionnel, vers lequel vous nous orientez), cité les propos ministériels concernant l'autisme.
Ce sont là propos redoutables, effrayants, intolérants, discréditants, qui nous ramènent des siècles en arrière tout en prétendant trouver justification dans des pratiques psychiatriques modernistes (idéologies yankistes type Delgado, DSM, etc., mais aussi pavloviennes) qui relèvent d'une volonté frénétique réglée sur les enjeux nommés "comportementalité", "qualité-prix", "culture des résultats", "économie et hiérarchie d'abord", etc.
On y retrouve le fantasme puritain fascisant qui voit la psychanalyse partout - alors qu'elle n'est, réellement, que minoritaire, un minoritaire qui laisse beaucoup à désirer, ce dont s'autorisent les ennemis de Freud et de la "révolution psychanalytique" pour se livrer à des attaques où l'ignare le dispute au féroce (on fraye comme on peut); s'y affirme la volonté typiquement totalitaire d'enfermer les singularités individuelles dans un format unique, répondant aux exigences, exploitations et rentabilisations des détenteurs de pouvoirs; s'y décèle l'idéologie scientiste d'une "sélection des meilleurs" (des plus "forts"), où les dits "meilleurs" ne s'autorisent que d'eux-mêmes, de leurs biens, et des gangs qu'ils constituent et entretiennent ...
Je vous ai adressé il y a peu un texte, intitulé "Furor pectoris", où, posant là les "coronaires encrassées", je parle du "Principe de l'encrassement". J'évoque brièvement les "crasses" (il vaut la peine d'utiliser ce terme populaire) que subit tout individu au cours de son existence, et qui - avançons cette hypothèse élémentaire, que tendraient à éclairer certains travaux - contribuent à secrètement "briser le coeur" (syndrome japonais de Tako-Tsubo), "encrasser" les artères. Au delà des cas individuels, dont devrait se préoccuper tout analyste, refait à nouveau surface, aujourd'hui, le problème toujours aussi dramatique et opaque des enfants autistiques. Le terme englobe des catégories de sujets, tous déroutants, qui pourraient requérir des approches distinctes exigeant, toutes, quelles qu'elles soient, prudence et audace, tolérance et générosité, finesse et érudition - mais d'abord, avant tout et par dessus tout, l'instauration de conditions de vie prises en charge par la société et visant à assurer protection, sécurisation, confort, exténuation du malheur d'être. C'est la définition même de l'approche psychanalytique, dont le principe de base est de toujours se remettre en question. Ne dogmatisent que les cuistres. Qu'une ministre en vienne à tenir, à l'endroit de la psychanalyse, les propos que cite Laurent Rompteaux - voilà qui n'ira pas sans quelques désastres.
Nous avons affaire là, croyons-nous, à une "crasse" officielle, institutionalisée, qui veut imposer une "loi" arbitraire, corporatiste, médiatico-populiste, à toute une population d'enfants meurtris, marginalisés, malheureux. La rengaine compassionnelle se veut réponse à tout : "c'est pour leur bien", est-il affirmé aux divers échelons, du groupement familial impatient et culpabilisé, broyant du noir, jusqu'aux cercles officiels qui se complaisent aux quadratures scientistes. Reste que la visée la plus patente, formulée d'entrée de jeu, est d'exclure des pratiques psychologiques, pédagogiques, politiques et culturelles, la psychanalyse et sa puissance inégalée de pénétration et de compréhension de la réalité humaine. Qu'attendent donc les postérités freudiennes, les enfants de l'analyse pour, par delà sectarismes et pusillanimité, faire entendre, avec rigueur, pugnacité et sachant abattre toutes les cartes de l'inconscient (la "carte du tendre" y trouve sa place), leur voix?
Roger Dadoun